Ce lundi 4 mars, était votée l’entrée dans la constitution de la “liberté des femmes de recourir à l’IVG”, dans un contexte international d’attaques massives contre les droits reproductifs et la libre disposition de nos corps. Une victoire en demi-teinte pour notre camp, les termes excluant les personnes trans de l’équation, et n’annulant pas la clause de conscience qui permet aux médecins de ne pas pratiquer un IVG.
Malgré cela, plusieurs élus locaux n’ont pas voté cette loi. Nous allons d’abord revenir sur qui sont ces élus (spoiler : la droite et l’extrême droite), puis plus particulièrement sur la stratégie du Rassemblement National, qui depuis quelques années utilise le féminisme comme porte d’entrée pour ses politiques racistes et sécuritaires.
LES ÉLUS LOCAUX QUI ONT VOTÉ CONTRE L’ENTRÉE DE L’IVG DANS LA CONSTITUTION :
Nous allons nous pencher plus précisément sur deux d’entre eux : Stéphane Ravier et Hervé de Lépinau.
PETIT ZOOM SUR STÉPHANE RAVIER
Stéphane Ravier est sénateur Reconquête! des bouches du Rhône. Proche de nombreux groupuscules d’extrême droite, nous lui avions déjà consacré un article, après qu’il se soit rendu à la marche contre l’antisémitisme à Marseille. Connu pour ses régulières sorties misogynes, il s’est, sans surprise, opposé a l’entrée dans la constitution de l’IVG, et pour le maintien de la clause de conscience. Rappelons aussi qu’il y a quelques semaines il remettait une médaille à une membre du collectif féminin identitaire Némesis, de qui il est très proche, pour « acte de courage ».
PETIT ZOOM SUR HERVÉ DE LÉPINAU
Hervé de Lépinau, est élu dans la 3ᵉ circonscription du Vaucluse. Catholique conservateur, soutien successif de Philippe de Villiers, Jacques Bompard et Marion Maréchal, il rejoint le RN en 2014, après un passage de 4 ans par la Ligue du Sud.
Malgré la stratégie globale de dédiabolisation du RN, certains élus dont fait partie Hervé de Lépinau, continuent de diffuser largement les opinions misogynes et homophobes que le parti tente de faire oublier. En 2014, il signait la charte de l’association Choisir La Vie, réclamant «d’abroger à terme la loi sur l’avortement ».
Nous souhaitons nous attarder sur les positions du Rassemblement National, qui ces dernières années a modifié une partie de ses prises de positions publiques, notamment sur la question de l’entrée du droit à l’IVG dans la constitution.
RÉEL CHANGEMENT DE POSITIONS OU OPPORTUNISME ?
« Les discours ultra-radicaux, les polémiques, en politique, on a testé, on connaît, ça fait 15% dans les urnes, alors on a mis le temps, mais on a compris qu’à l’élection présidentielle il y a deux tours et on a changé de tactique. » Philippe Olivier, beau-frère et conseiller de Marine Le Pen
Depuis quelques années, on peut constater un changement dans la politique du RN, qui lui a permis de gagner un électorat féminin, historiquement réfractaire au vote RN. Ces changements de positions, notamment sur la question de l’IVG, rentrent complètement dans la stratégie de dédiabolisation du parti, comme leur récent “intérêt” pour l’écologie, ou pour la lutte contre l’antisémitisme, pourtant constitutif de l’identité du parti.
En 2016, à la veille d’une manifestation organisée par la Manif pour Tous, se crée le “Cercle fraternité”, organe du RN destiné à porter la “cause des femmes” au sein du parti. Ce cercle va principalement travailler à lier “cause des femmes”, avec immigration et sécurité (thèmes bien plus chers au parti que l’égalité de genres), surfant sur le contexte post-attentats, ainsi que sur les agressions sexuelles de Cologne en 2015. Le 8 mars 2017, le cercle publiera un communiqué de presse expliquant que : “les femmes ont besoin de Marine”.
MARINE LE PEN, FÉMINISTE ?
Avec Marine Le Pen à la tête du parti, le RN entend s’imposer comme “pionnier” de la “cause des femmes”.
Au cours de la campagne pour les présidentielles de 2022, on assiste à un drôle de spectacle : Marine Le Pen omniprésente sur les plateaux télé et les réseaux sociaux, allant jusqu’à donner une interview au magazine Closer, entièrement consacrée à sa vie privée. Marine tout sourire, avec ses chats, au pied du sapin… Un contraste évident avec l’image de son père, qu’elle n’a pas hésité à exclure du parti, dans la continuité de la stratégie de normalisation de celui-ci.
Le 8 mars 2022, n’hésitant pas à s’emparer de cette date, elle sortira une tribune : “lettre aux françaises”, qui sans surprise est bien plus proche du plaidoyer fémonationaliste* que de réelles revendications féministes.
Dans les faits, Marine Le Pen s’est opposée : à la PMA, à l’accès aux soins médicaux gratuits pour les travailleuses du sexe et les femmes en situation irrégulière, à l’allongement du congé de paternité. Elle n’a aussi jamais cessé de s’opposer au mariage pour tous. En 2012, lors de sa première candidature à l’élection présidentielle, Marine Le Pen proposait le déremboursement de l’IVG pour les avortements qu’elle qualifiait alors « de confort » (elle reviendra sur ces propos en 2022).
*fémonationalisme : instrumentalisation du féminisme à des fins racistes
QU’EN EST-IL RÉELLEMENT DANS LA POLITIQUE DU RN ?
En ce qui concerne la politique réelle du RN concernant l’égalité de genre, le bilan est bien différent, avec une approche qui relève clairement du fémonationalisme et de positions plus que conservatrices. En effet, dans le programme du parti pour les présidentielles, les femmes (et non pas les droits des femmes), ne sont évoquées qu’au sein de deux grands chapitres : “famille” et “sécurité”.
1- FAMILLE :
ici, les femmes ne sont évoquées que par le prisme de la natalité, afin d’encourager les femmes « françaises » (entendre les femmes blanches) à concevoir plus d’enfants, avec entre les lignes une peur du « grand remplacement ».
On peut résumer cette idée par la citation de Caroline Parmentier, députée de la 9e circonscription du Pas-de-Calais qui écrivait en 2018, dans le journal catholique traditionaliste Présent :
« Après avoir “génocidé” les enfants français à raison de 200 000 par an, on doit maintenant les remplacer à tour de bras par des migrants » Caroline Parmentier, députée RN, 2018
2- SÉCURITÉ
Il n’est ici question que de violences conjugales et harcèlement de rue. Un discours creux, où aucune proposition concrète (hormis des mesures répressives) n’est faite pour régler le problème des violences sexuelles (prévention, formation, protection et prise en charge des victimes…), qui fait largement penser au discours du collectif féminin identitaire « Némesis », qui vise à dénoncer les violences conjugales et le harcèlement de rue avec le postulat qu’elles sont très majoritairement commises par des personnes issues de l’immigration extra-européenne et que donc lutter contre les agressions sexistes se résumerait à lutter contre l’immigration.
« Où les femmes sont-elles le plus en danger ? Dans les couloirs du Parlement européen ou dans les quartiers ou des villes entières d’Europe, où leur place recule de par la submersion migratoire organisée par l’Union européenne et de par le laxisme du système judiciaire national ? Le premier lieu à risque pour les femmes, c’est avant tout l’espace public. Par ailleurs, si les problématiques de harcèlement au travail sont aujourd’hui largement connues, dénoncées et combattues, le harcèlement de rue est en augmentation exponentielle et reste totalement impuni. » Annika Bruna, eurodéputée RN, au Parlement Européen en décembre 2021
UNE OFFENSIVE À L’ÉCHELLE INTERNATIONALE…
Il parait important de rappeler que le RN, actuellement en train de mener leur campagne pour les élections européennes, ont de nombreux alliés parmi les réactionnaires européens :
Viktor Orban (Hongrie), qui a récemment fait passer un décret obligeant à écouter le cœur du fœtus aux personnes souhaitant avorter, et que Jordan Bardella avait félicité pour « sa politique familiale qui est un modèle pour tous »
L’AfD, parti d’extrême droite allemand, qui fait campagne pour le maintien des “rôles traditionnels des femmes”, et s’aligne sur des groupes opposés au féminisme moderne.
Georgia Meloni (Italie), qui voulait faire perdre leurs droits parentaux aux mères lesbiennes “non-biologiques”.
Les députés européens RN ont également refusé de voter contre la résolution visant à condamner la Pologne, qui depuis 2020 interdit l’avortement à l’exclusion des cas de « malformation grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable qui menace la vie du fœtus».